Nous étions bouche-bée. Notre taxi roulait sur la piste d’atterrissage pour nous servir de “follow me car”! Nous venions d’atterrir à Hvar, un aérodrome folklorique en Croatie où les seuls êtres vivants avant notre arrivée étaient un âne et un cheval, « le Ground Maintenance Crew » selon les dires du chauffeur de taxi.
Depuis une dizaines d’années, j’ai la chance de pouvoir partir en avion avec un de mes deux enfants, en alternance. Ce sont des moments privilégiés de partage et de complicité pendant lesquels j’ai beaucoup de plaisir à les voir grandir. Cette année c’était au tour de mon fils Nabil, 21 ans. Nabil avait 10 ans lorsque nous avons commencé cette tradition et depuis il a suivi les cours de radiotéléphonie à l’Aéroclub de Genève où je suis membre depuis plus de vingt ans. Aujourd’hui, c’est lui qui s’occupe de la radio, et cela me libère d’une tâche importante.
Nous voulions retourner en Croatie deux ans après notre dernière visite. Nous avions un souvenir inoubliable d’un voyage qui comprenait la traversée des Alpes, une vue imprenable de Venise et des vols de 1000 ft sur une mer turquoise constellée d’îles. La dernière fois nous avions dû renoncer à descendre à Dubrovnik et cela nous travaillait depuis.
Donc début juin, après une bonne discussion avec le météorologue de Cointrin, nous nous sommes dépêchés de partir avant l’arrivée l’après midi d’une perturbation qui s’est installée à Genève pendant toute la période de notre voyage. Quelle chance! Une fois n’est pas coutume.
Et pour changer du Piper Dakota, avion de prédilection de tous nos autres voyages, nous avons choisi de partir avec un DA40 du club. J’avais jusqu’à présent, repoussé ma transition sur Diamond ne le trouvant pas assez performant pour les petits terrains que nous aimons tellement visiter. Mais cette fois j’avais vraiment envie de piloter un avion moderne avec une instrumentation moderne. Alors grâce aux talents – et à la patience – de mon instructeur de toujours, Philippe Larderaz, j’ai pu faire ma transition au printemps.
Je suis maintenant mordu du DA40. Avec deux personnes à bord, il est idéal pour les longs voyages. Il a un confort inégalé aussi bien physique que mental, avec des sièges confortables, une excellente visibilité et surtout le G1000 donnant une excellente “situational awareness” (surtout apprecié lorsque l’on navigue les méandres des zones contrôlées de Milan), un autopilote 2 axes, et un Fadec. Le tout fait que l’on arrive moins fatigués qu’auparavant.
Notre route nous a donc amené de Genève au dessus du col du Simplon, à travers les zones contrôlées de Milan, Bergamo, Brescia, en effleurant Venise jusqu’à notre destination à Mali Losinj. Trois heures et demie de vues aussi variées que magnifiques. Une juxtaposition de montagnes, de lacs, la vue magique de Venise, suivie par une petite traversée maritime, c’était inoubliable. Nous avons toujours eu des contrôleurs très sympas, nous donnant volontiers permission de traverser leurs zones. Nous savons maintenant que les contrôleurs italiens aiment toujours connaître notre ETE, alors nous étions bien préparés cette fois. Nabil s’est super bien débrouillé à la radio, et j’étais fier d’entendre sa confiance et sa fluidité au fur et à mesure que l’on avançait dans notre voyage.
Mali Losinj est une jolie île avec un aérodrome controlé, qui a même la douane. C’était le même Marshall qu’il y a deux ans, mais toujours aussi bourru malheureusement. Une surprise nous attendait à l’arrivée. Quand on voyage nous apportons un grand sac avec toutes nos affaires pour la semaine, qu’on laisse toujours dans l’avion. Nous avons aussi un sac à dos dans lequel on « transvase » nos affaires pour la nuit. De cette manière nous nous allégeons notre charge. Cette fois j’ai voulu bien faire et j’ai pré-chargé le sac à dos avec nos affaires de toilettes, une chose en moins à faire à destination, n’est-ce pas? Malheureusement en arrivant à Losinj nous avons découvert que nous avions oublié ce sac à Genève. Pas grave en soi, sauf que… dans ce sac il y avait mes lentilles de contact (journaliers) ainsi que mes lunettes. Il ne me restait que les lentilles sur mes yeux, lentilles que je devais jeter ce soir la. Petit problème, donc.
C’est la que nous avons goûté à notre première rencontre de la gentillesse croate. Nous avons demandé à notre chauffeur de taxi de nous amener chez l’opticien le plus proche. Il nous a dit que c’est certainement fermé le samedi après-midi, mais qu’il allait voir. Il a baragouiné un peu au téléphone et s’est retourné vers moi et m’a demandé, “quel est votre dioptrie?” Puis à 17h10 précises, je devais me rendre dans un certain bar où un set de lentilles jetables m’attendrait. Et effectivement, à l’heure indiquée nous avons trouvé deux boîtes de lentilles d’une bonne marque avec ma correction. C’était un peu surréaliste de commander des lentilles dans un bar, mais elles étaient bien la. Le chauffeur de taxi nous a sauvé!
Cette expérience était assez typique de ce que nous avons rencontré pendant notre semaine. Il y a par exemple le Marshall à Dubrovnik à qui nous avons payé les taxes d’atterrissage et parking. Il est venu nous retrouver dans la salle de briefing pour nous dire que nous avions trop payé car il pensait qu’on allait passer la nuit à Dubrovnik. Un jeune étudiant de Zagreb qui travaillait l’été à l’aéroport de Dubrovnik nous a emmené en ville, nous a attendu et nous a ramené à l’aéroport. Tout le long il nous a raconté l’histoire de la ville.
Notre vol de Pula à Dubrovnik suivait la Route AD1 à max 1500 ft, au dessus de superbes petites iles entourées d’une eau cristalline, avec des bateaux comme suspendus sur la surface de l’eau. On avait une visibilité parfaite, le calme à la radio, tous les instruments au vert, et comme seul accompagnement le ronronnement du moteur. On était au paradis. Les contrôleurs étaient toujours très sympas sur toute la route. Ils nous attendaient toujours au « hand over » avec un « Radar Contact » et on continuait sur notre chemin. Presque de l’IFR.
A Dubrovnik le contrôleur nous a même passé avant un 757 de Lufthansa. Comme les grands. Les formalités se sont bien passées, il faut juste prévoir du temps. Nous aimons toujours faire le plein et toute l’administration à l’arrivée. Ca nous fait moins de stress au départ. C’est comme ca que nous sommes partis visiter la ville, seulement après avoir fait le plein et passé notre plan de vol pour Hvar.
Nous avons entendu parler de Hvar par nos amis de l’aéroclub et ça nous donnait envie d’y aller. Un petit coup de fil au gestionnaire suffisait pour la permission – ainsi que le fameux taxi. Nous aimons beaucoup ces petits aérodromes champêtres. Quel contrast ! Le lendemain de notre arrivée nous sommes partis à la découverte de l’île. La ville de Hvar est très loin de l’aérodrome. Nous vous conseillerions Stari Grad, qui est plus proche et aussi sympathique.
Sur notre chemin de retour nous sommes passés par Pula pour le fuel et la douane, avons fait un night stop à Lugano, gardant la traversée des Alpes pour le surlendemain par une splendide météo.
Cinq jours et une douzaines d’heures de vol plus tard, la voix familière des contrôleurs de Genève résonnait à nouveau dans nos écouteurs et nous étions « home » avant même d’atterrir. C’était cinq jours d’aventure, cinq jours de découvertes, cinq jours de complicité avec mon fils. Quelle chance, quel privilège. Je me réjouis déjà de l’année prochaine avec ma fille !